mardi 31 juillet 2018

5 juin 2018 // ♡ avec les doigts // Nantes // Lecture autour de La langue des oiseaux




Le 5 juin dernier à Nantes, dans le cadre du cycle thématique [♡avec les doigts] du Trempolino, en partenariat avec La Maison de la Poésie de Nantes, une soirée fut organisée autour de La langue des oiseaux. En première partie une lecture participative, de la Langue des oiseaux. En seconde, une lecture d’extraits de de cinq livres qui ont nourri l’écriture de La Langue des oiseaux.



Voici la présentation et les extraits lus :  

Parution en 1924 (quand l'auteur avait 19 ans). Pablo Neruda est un poète et homme politique chilien
.
Prix Nobel de littérature en 1971 - mort en 1973.
A noter que suites à des informations découvertes ultérieurement à ma lecture première de Pablo Neruda, j'ai des réserves sur l'homme, en raison du viol décrit dans son autobiographie posthume comme une anecdote sans conséquence et sur son point de vue chosifiant des femmes.

+ Pour en savoir plus sur :

lien avec La langue des oiseaux
L'élaboration du projet de la Langue des oiseaux est née avec la lecture de ce recueil : la beauté de la langue, la construction (le cheminement d'une histoire du début à la fin, l'éclosion dans l'après, la langue concrète et charnel et puis s'élançant vers le lyrique).



  • Extrait I : XX poème (p. 83)
«
Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.

Ecrire, par exemple : " La nuit est étoilée,
et grelottent, bleus, les astres, au lointain. "

Le vent de la nuit tourne dans le ciel et chante.

Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Je l'ai aimée, et parfois elle aussi m'aima.

Dans les nuits comme celle-ci je l'ai tenue dans mes bras
Je l'ai embrassée tant de fois sous le ciel infini.

Elle m'aima, parfois moi aussi je l'ai aimée.
Comment ne pas avoir aimé ses grands yeux fixes.

Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Songer que je ne l'ai pas. Sentir que je l'ai perdue.

Entendre la nuit immense, plus immense sans elle.
Et le vers tombe sur l'âme comme la rosée sur l'herbe.

Qu'importe que mon amour n'ait pu la garder.
La nuit est étoilée et elle n'est pas avec moi.

C'est tout.  Au loin quelqu'un chante. Au loin.
Mon âme n'est pas satisfaite, l'ayant perdue.

Comme pour la rapprocher mon regard la cherche.
Mon coeur la cherche, et elle n'est pas avec moi.

La même nuit qui fait blanchir les mêmes arbres.
Nous autres, ceux d'alors, déjà ne sommes plus les mêmes.

Déjà, je ne l'aime plus, c'est vrai, mais combien l'ai-je aimée.
Ma voix recherchait le vent pour toucher son oreille.

A un autre. Elle sera à un autre. Comme avant mes baisers.
Sa voix, son corps clair. Ses yeux infinis.

Déjà je ne l'aime plus, c'est vrai, mais peut-être que je l'aime.
L'amour est si court, et l'oubli est si long.

Parce qu'en des nuits comme celle-ci je l'ai tenue dans mes bras,
mon âme n'est pas satisfaite, l'ayant perdue.

Bien que celle-ci soit l'ultime douleur qu'elle m'inflige,
et ceux-ci soient les ultimes vers que je lui écris.
»
  • Extrait II : La lettre en chemin (in. Les vers du capitaine - p. 30)
«
Au revoir, mais tu seras
présente, en moi, à l'intérieur
d'une goutte de sang circulant dans mes veines
ou au-dehors, baiser de feu sur mon visage
ou ceinturon brûlant à ma taille sanglé.
Accueille, ô douce,
le grand amour qui surgit de ma vie
et qui ne trouvait pas en toi de territoire
comme un découvreur égaré
aux îles du pain et du miel.
Je t'ai rencontrée une fois
terminée la tempête,
la pluie avait lavé l'air
et dans l'eau
tes doux pieds brillaient comme des poissons.

Adorée, me voici retournant à mes luttes.

[…]
Maintenant je vais te le dire :
ma terre sera la tienne,
je pars la conquérir,
non pour toi seule
mais pour tous,
pour tout mon peuple.
Un jour le voleur quittera sa tour.
On chassera l'envahisseur.
Tous les fruits de la vie
pousseront dans mes mains
qui ne connaissaient avant que la poudre.
Et je saurai caresser chaque fleur nouvelle
grâce à tes leçons de tendresse.
Douce, mon adorée,
tu viendras avec moi lutter au corps à corps :
tes baisers vivent dans mon coeur
comme des drapeaux rouges
et si je tombe, il y aura
pour me couvrir la terre
mais aussi ce grand amour que m'apportas
et qui aura vécu circulant dans mon sang.
Tu viendras avec moi,
je t'attends à cette heure,
à cette heure, à toutes les heures.
Et quand tu entendras la tristesse abhorrée
cogner à ton volet,
dis-lui que je t'attends,
et quand la solitude voudra que tu changes
la bague où mon nom est écrit,
dis-lui de venir me parler,
que j'ai dû m'en aller
car je suis un soldat
et que là où je suis,
sous la pluie ou le feu,
mon amour, je t'attends.
Je t'attends dans le plus pénible des déserts,
je t'attends près du citronnier avec ses fleurs,
partout où la vie se tiendra
et où naît le printemps,
mon amour, je t'attends.
Et quand on te dira : " Cet homme ne t'aimes pas ", oh ! souviens-toi
que mes pieds sont seuls dans la nuit,
à la recherche des doux petits pieds que j'adore.
Mon amour, quand on te dira
que je t'ai oubliée, et même
si je suis celui qui te le dit,
même quand je te le dirai
ne me crois pas
qui pourrait, comment, pourrait-on
te détacher de ma poitrine,
qui recevrait
alors le sang
de mes veines saignant vers toi ?
Je ne peux pourtant oublier
mon peuple.
Je vais lutter dans chaque rue
et à l'abri de chaque pierre.
Ton amour aussi me soutient :
il est une fleur en bouton
qui me remplit de ton parfum
et qui, telle une immense étoile,
brusquement s'épanouit en moi.

[…]

Un jour peut-être
un homme
et une femme
à notre image
palperont cet amour, qui aura, lui, gardé la force
de brûler les mains qui le toucheront.
Qui auront-nous été ? Quelle importance ?
Ils palperont ce feu
et le feu, ma douce, dira ton simple nom
et le mien, le nom que toi seule
auras su parce que toi seule
sur cette terre sais
qui je suis, et que nul ne m'aura connu comme toi,
comme une seule de tes mains,
que nul non plus
n'aura su ni comment ni quand
mon coeur flamba :
uniquement
tes grands yeux bruns,
ta large bouche,
ta peau, tes seins,
ton ventre, tes entrailles
et ce coeur que j'ai réveillé
afin qu'il chante
jusqu'au dernier jour de ta vie.

Mon amour, je t'attends.

Au revoir, mon amour, je t'attends.
Amour, mon amour, je t'attends.

J'achève maintenant ma lettre
sans tristesse aucune : mes pieds
sont là, bien fermes sur la terre,
et ma main t'écrit en chemin :
au milieu de la vie, toujours
je me tiendrai
au côté de l'ami, affrontant l'ennemi,
avec à la bouche ton nom,
avec un baiser qui jamais
ne s'est écarté de la tienne.
»




Parution en 1978. Georges Perec y a travaillé pendant 8 ans.
Georges Perec a exploré de nombreux genres, obéissant à une démarche rigoureuse dont témoignent les minutieux programmes qui organisent la rédaction de ses œuvres.
Georges Perec était membre de l'Oulipo. L’ouvroir de littérature potentielle fut fondé en 1960 par François Le Lionnais et Raymond Queneau. C’est un groupe qui se consacre à la recherche de formes, de structures nouvelles - écritures sous contraintes.

+ Pour en savoir plus :

lien avec La langue des oiseaux
L'inspiration est principalement liée aux cahiers des charges, de l'écriture sous contrainte. Dans une autre mesure, j'ai élaboré un cahier des charges : mise en place du cadre, (les tests, la lettre et les poèmes), contraintes d'écritures (en particulier, utiliser des éléments de la lettre et des poèmes pour élaborer les réponses et profil des tests


Le livre met en scène les locataires d’un immeuble parisien pendant plus d’un demi-siècle, à travers 2 000 personnages, au 11 de la rue Simon-Crubellier. C'est une multitude de romans imbriqués de différents genres : policier, sentimental, fantaisiste ou sociologique, etc. Georges Perec, qui avait le goût de l’inventaire, compile et dresse des listes hétéroclites. Le livre fut construit sur 42 listes de 10 éléments (animaux, couleurs, personnalités, évènements, etc.) associées à un modèle mathématique, le « bi-carré latin orthogonal d’ordre 10 ». Cette grille de 10 × 10 cases se superpose au plan de l’immeuble. Ce modèle permet à Georges Perec de répartir dans chaque chapitre les 420 éléments listés. Pour passer d’un chapitre/pièce à un autre, Georges Perec a recours à un problème de logique lié aux échecs, qui impose au cavalier de parcourir toutes les cases de l’échiquier sans jamais repasser par la même. Cette grille de 10 x 10 devrait donner 100 chapitres, cependant La vie mode d’emploi en compte 99... L'explication va se trouver dans un des extraits qui va suivre.



  • Extrait I : Préambule (p. 17)
«
L'oeil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l'oeuvre
(Paul Klee,
Pädagogisches Skizzenbuch)

A départ, l'art du puzzle semble un art bref, un art mince, tout entier contenu dans un maigre enseignement de la Gestalt-theorie : l'objet visé - qu'il s'agisse d'un acte perceptif, d'un apprentissage, d'un système physiologique ou, dans le cas qui nous occupe, d'un puzzle de bois - n'est pas une somme d'éléments qu'il faudrait d'abord isoler et analyser, mais un ensemble, c'est-à-dire une forme, une structure : l'élément ne préexiste pas à l'ensemble, il n'est ni plus immédiat ni plus ancien, ce ne sont pas les éléments qui déterminent l'ensemble, mais l'ensemble qui détermine les éléments : la connaissance du tout et de ses lois, de l'ensemble et de sa structure, ne saurait être déduite de la connaissance séparée des parties qui le composent : cela veut dire qu'on peut regarder une pièce d'un puzzle pendant trois jours et croire tout savoir de sa configuration et de sa couleur sans avoir le moins du monde avancé : seule compte la possibilité de relier cette pièce à d'autres pièces, et en ce sens il y a quelque chose de commun entre l'art du puzzle et l'art du go ; seules les pièces rassemblées prendront un caractère lisible, prendront un sens : considérée isolément une pièce d'un puzzle ne veut rien dire ; elle est seulement une question impossible, défi opaque ; mais à peine a-t-on réussi, au terme de plusieurs minutes d'essais et d'erreurs, ou en une demi-seconde prodigieusement inspirée, à la connecter à l'une de ses voisines, que la pièce disparaît, cesse d'exister en tant que pièce : l'intense difficulté qui a précédé ce rapprochement, et que le mot puzzle - énigme - désigne si bien en anglais, non seulement n'a plus de raison d'être, mais semble n'en avoir jamais eu, tant elle est devenue évidence : les deux pièces miraculeusement réunies n'en forment qu'une, à son tour source d'erreur, d'hésitation, de désarroi et d'attente.

Le rôle de faiseur de puzzle est difficile à définir. Dans la plupart des cas - pour tous les puzzles en carton en particulier - les puzzles sont fabriqués à la machine et leur découpage n'obéit à aucune nécessité : une presse coupante réglée selon un dessin immuable tranche les plaques de carton d'une façon toujours identique ; le véritable amateur rejette ces puzzles, pas seulement parce qu'ils sont en carton au lien d'être en bois, ni parce qu'un modèle est reproduit sur la boîte d'emballage, mais parce que ce mode de découpage supprime la spécificité même du puzzle ; il importe peu en l'occurrence, contrairement à une idée fortement ancrée dans l'esprit du public, que l'image de départ soit réputée facile (une scène de genre à la manière de Vermeer par exemple, ou une photographie en couleurs d'un château autrichien) ou difficile (un Jackson Pollock, un Pissarro ou - paradoxe misérable - un puzzle blanc) : ce n'est pas le sujet du tableau ni la technique du peintre qui fait la difficulté du puzzle, mais la subtilité de la découpe, et une découpe aléatoire produira nécessairement une difficulté aléatoire, oscillant entre une facilité extrême pour les bords, les détails, les taches de lumière, les objets bien cernés, les traits, les transitions, et une difficulté fastidieuse pour le reste : un ciel sans nuages, le sable, la prairie, les labours, les zones d'ombre, etc.
Dans de tels puzzles les pièces se divisent en quelques grandes classes dont les plus connues sont : Les bonhommes, les croix de Lorraine et les croix, et une fois les bords reconstitués, les détails mis en places - la table avec son tapis rouge à franges jaunes très claires, presque blanches, supportant un pupitre avec un livre ouvert, la riche bordure de la glace, le luth, la robe rouge de la femme -  et les grandes masses des arrières-plans séparées en paquets selon leur tonalité de gris, de brun, de blanc ou de bleu ciel - la résolution du puzzle consistera simplement à essayer à tour de rôle toutes les combinaisons plausibles.
L'art du puzzle commence avec les puzzles de bois découpés à la main lorsque celui qui les fabrique entreprend de se poser toutes les questions que le joueur devra résoudre lorsque, au lieu de laisser le hasard brouiller les pistes, il entend lui substituer la ruse, le piège, l'illusion : d'une façon préméditée, tous les éléments figurant sur l'image à reconstruire - tel fauteuil de brocard d'or, tel chapeau noir à trois cornes garni d'une plume noire un peu délabrée, telle livrée jonquille toute couverte de galons d'argent - serviront de départ à une information trompeuse : l'espace organisé, cohérent, structuré, signifiant, du tableau sera découpé non seulement en éléments inertes, amorphes, pauvres de signification et d'information, mais en éléments falsifiés, porteurs d'informations fausses : deux fragments de corniches s'emboîtent exactement alors qu'ils appartiennent en fait à deux portions très éloignées du plafond, la boucle de la ceinture d'un uniforme qui se révèle in extremis être une pièce de métal retenant une torchère, plusieurs pièces découpées de façon presque identique appartenant, les unes à un oranger nain posé sur une cheminée, les autres à un reflet à peine ternie dans un miroir, sont des exemples classiques des embûches rencontrées par les amateurs.
On en déduira quelque chose qui est sans doute l'ultime vérité du puzzle : en dépit des apparences, ce n'est pas un jeu solitaire : chaque geste que fait le poseur de puzzle, le faiseur de puzzle l'a fait avant lui ; chaque pièce qu'il prend et reprend, qu'il examine, qu'il caresse, chaque combinaison qu'il essaye et essaye encore, chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement, on été décidés, calculés, étudiés par l'autre.
»

  • Extrait II : Chapitre 51 (p. 279)
«
Valène (chambre de la bonne,9)

Il serait lui-même dans le tableau, à la manière de ces peintres de la Renaissance qui se réservaient toujours une place minuscule au milieu de la foule des vassaux, des soldats, des évêques ou des marchands ; non pas une place centrale, non pas une place privilégiée et significative à une intersection choisie, le long d'un axe particulier, selon telle ou telle perspective éclairante, dans le prolongement de tel regard lourd de sens à partir duquel toute une réinterprétation du tableau pourrait se construire, mais une place appartement inoffensive, comme si cela avait été fait comme ça, en passant, un peu par hasard, parce que l'idée en serait venue sans savoir pourquoi, comme si l'on ne désirait pas trop que cela se remarque, comme si ce ne devait être qu'une signature pour initiés, quelque chose comme une marque dont le commanditaire du tableau aurait fou juste toléré que le peintre signât son oeuvre, quelque chose qui de devrait être connu que de quelques-uns et aussitôt oublié : à peine le peintre mort, cela deviendrait une anecdote qui se transmettrait de génération en génération, d'ateliers en ateliers, une légender à laquelle personne ne croirait plus, jusqu'à ce que, un jour, on en redécouvre la preuve, grâce à des recoupements de fortune, ou en comparant le tableau avec des esquisses préparatoires retrouvées dans les greniers d'un musée, ou même d'une manière tout à fait fortuite, comme lorsque, lisant un livre, on tombe sur des phrases que l'on a déjà lues ailleurs : et peut-être alors se rendrait-on compte de ce qu'il y avait toujours eu d'un peu particulier dans ce petit personnage, pas seulement un soin plus grand apporté aux détails du visage, mais une plus grande neutralité, ou une certaine manière de pencher imperceptiblement la tête, quelque chose qui ressemblerait à de la compréhension, à une certaine douceur, à une joie peut-être teintée de nostalgie.

Il serait lui-même dans son tableau, dans sa chambre, presque tout en haut à droite, comme une petite araignée attentive tissant sa toile scintillante, debout, à côté de son tableau, sa palette à la main, avec sa longue blouse grise toute tachée de peinture et son écharpe violette.

Il serait debout à côté de son tableau presque achevé, et il serait précisément en train de se peindre lui-même, esquissant du bout de son pinceau la silhouette minuscule d'un peintre en longue blouse grise avec une écharpe violette, sa palette à la main, en train de peindre la figurine infime d'un peintre en train de peindre, encore une fois une de ces images en abîme qu'il aurait voulu continuer à l'infini comme si le pouvoir de ses yeux et de sa main ne connaissait plus de limites.

Il se peindrait en train de se peindre et autour de lui, sur la grande toile carrée, tout serait déjà en place : la cage de l'ascenseur, les escaliers, les paliers, les paillassons, les chambres et les salons, les cuisines, les salles de bains, la loge de la concierge, le hall d'entrée avec sa romancière américaine interrogeant la liste des locataires, la boutique de Madame Marcia, les caves, la chaufferie, la machinerie de l'ascenseur.

Il se peindrait en train de se peindre, et déjà l'on verrait les louches et les couteaux, les écumoires, les boutons de porte, les livres, les journaux, les carpettes, les carafes, les chants, les porte-parapluies, les dessous-de-plat, les postes de radio, les lampes de chevet, les téléphones, les miroirs, les brosses à dents, les séchoirs à linge, les cartes à jouer, les mégots dans les cendriers, les photographies de famille dans les cadres antiparasites, les fleurs dans les vases, les tablettes de radiateurs, les presse-purée, les patins, les trousseaux de clés dans les vide-poches, les sorbetières, les caisses à chat, les casiers d'eaux minérales, les berceaux, les bouilloires, les réveille-matin, les lampes Pigeon, les pinces universelles. Et les deux cache-pot cylindriques en raphia tressé du Docteur Dinteville, les quatres calendriers de Ginoc, le paysage tonkinois des Berger, le bahut sculpté de Gaspard Winckler, le lutrin de Madame Moreau, les babouches tunisiennes rapportées à Mademoiselle Crespi par Bétrice Breidel, la table rognon du gérant, les automates de Madame Marcia et le plan de Namur de son fils David, le feuilles couvertes d'équations d'Anne Breidel la boîte à épices de la cuisinière de Madame Moreau, l'Amiral Nelson de Dinteville, les chaises chinoises des Altamont et leur tapisserie précieuse montrant les vieillards amoureux, le briquet de Nieto, le makintosh de Jane Sutton, le coffre de bateau de Smautf, le papier étoilé des Plassaert, la coquille de nacre de Geneviève Foulerot, le couvre-lit imprimé de Cinoc avec ses grands feuillages triangulaires et le lit des Réol en cuir synthétiques - façon daim finition grand sellier avec ceinture et boucle chromée -, le théorbe de Gratiolet, les curieuses boîtes à café de la salle à manger de Bartlebooth et la lumière sans ombre de son scialytique, le tapis exotique des Louvet et celui des Marquiseaux, le courrier sur la table de la loge, le grand lustre en cristal d'Olivia Rorschash, les objets soigneusement empaquetés de Madame Albin, l'antique lion de pierre trouvé par Hutting à Thuburbo Majus,

         et tout autour, la longue cohorte de ses personnages, avec leur histoires, leur passé, leur légendes :
[…]

dans l'énumération des 179 personnages, ne lire que la 100
         1.      100 La petite fille qui mord dans un coin de son petit-beurre Lu […]
»


Pour rappel ce choix de biscuit n'est pas un hasard, le petit LU étant éminemment oulipien :
il a été conçu dans sa forme pour représenter le « temps » :
– Les 52 dents représentent les semaines de l’année.
– Les 4 coins représentent les saisons.
– Ce biscuit mesure 7 cm, représentant les 7 jours de la semaine.
– Les 24 petits points représentent les 24 heures de la journée.



Parution en1977. Roland Barthes est un philosophe et sémiologue majeur.

+ Pour en savoir plus :

lien avec La langue des oiseaux
C'est un essai de sémiologie (étude des signes linguistiques à la fois verbaux ou non verbaux) à la structure très particulière, qui analyse toutes les étapes du sentiment amoureux avec l'appui de diverses œuvres.

  • Extrait I : L'attente (p. 47)
«
ATTENTE : Tumulte d'angoisse suscité par l'attente de l'être aimé, au gré de menus retards (rendez-vous, téléphones, lettres, retours).

1. J'attends une arrivée, un retour, un signe promis. Ce peut être futile ou énormément pathétique : dans Erwatung (Attente), une femme attend son amant, la nuit, dans la forêt ; moi, je n'attends qu'un coup de téléphone, mais c'est la même angoisse. Tout est solennel : je n'ai pas le sens des proportions.
Schönberg

2. Il y a une scénographie de l'attente : je l'organise, je la manipule, je découpe un morceaux de temps où je vais mimer la perte de l'objet aimé et provoquer tous les effets d'un petit deuil. Cela se joue donc comme une pièce de théâtre.
Le décor représente l'intérieur d'un café ; nous avons rendez-vous, j'attends. Dans le Prologue, seul acteur de la pièce (et pour cause), je constate, j'enregistre le retard de l'autre ; ce retard n'est encore qu'une entité mathématique, computable (je regarde ma montre plusieurs fois) ; le Prologue finit sur un coup de tête : je décide de " me faire de la bile ", je déclenche l'angoisse d'attente. L'acte I commence alors ; il est occupé par des supputations : s'il y avait un malentendu sur l'heure, sur le lieu ? J'essaye de me remémorer le moment où le rendez-vous à été pris, les précisions qui ont été données. Que faire (angoisse de conduite) ? Changer de café ? Téléphoner ? Mais l'autre arrive pendant ces absences ? Ne me voyant pas, il risque de repartie, etc. L'acte II est celui de la colère ; j'adresse des reproches violents à l'absent : " Tout de même, il (elle) aurait bien pu… ", "Il (elle) sait bien… " Ah ! si elle (il) pouvait être là ! Dans l'acte III, j'atteins (j'obtiens ?) l'angoisse toute pure : celle de l'abandon ; je viens de passer en une seconde de l'absence à la mort ; l'autre est comme mort : explosion de deuil : je suis intérieurement livide. Telle est la pièce ; elle peut être écourtée par l'arrivée de l'autre ; s'il arrive en I, l'accueil est calme ; s'il arrive en II, il y a " scène " ; s'il arrive en III, c'est la reconnaissance, l'action de grâce : je respire largement, tel Pelléas sortant du souterrain et retrouvant la vie, l'odeur de roses.
Winnicott
Pelléas

(L'angoisse d'attente n'est pas continûment violente ; elle a ses moments mornes ; j'attends, et tout l'entour de mon attente est frappé d'irréalité : dans ce café, je regarde les autres qui entrent, papotent, plaisantent, lisent tranquillement : eux, ils n'attendent pas.)

3. l'attente est un enchantement : j'ai reçu l'ordre de ne pas bouger. L'attente d'un téléphone se tisse ainsi d'interdictions menues, à l'infini, jusqu'à l'inavouable : je m'empêche de sortir de la pièce, d'aller aux toilettes, de téléphoner même (pour de pas occuper l'appareil) ; je souffre de ce qu'on me téléphone (pour la même raison) ; je m'affole de penser qu'à telle heure proche il faudra que je sorte, risquant ainsi de manquer l'appel bienfaisant, le retour de la Mère. Toutes ces diversions qui me sollicitent seraient des moments perdus pour l'attente, des impuretés d'angoisse. Car l'angoisse d'attente, dans sa pureté, veut que je sois assis dans un fauteuil à portée de téléphone, sans rien faire.

WINICOTT, Jeu et Réalité, 34.

4.
L'être que j'attends n'est pas réel. Tel le sein de la mère pour le nourrisson, " je le crée et je le recrée sans cesse à partir de ma capacité d'aimer, à partir du besoin que j'ai de lui " : l'autre vient là où je l'attends, là où je l'ai déjà crée. Et, s'il ne vient pas, je l'hallucine : l'attente est un délire.
Encore le téléphone : à chaque sonnerie, je décroche en hâte, je crois que c'est l'être aimé qui m'appelle (puisqu'il doit m'appeler) ; un effort de plus, et je " reconnais " sa voix, j'engage le dialogue, quitte à me retourner avec colère contre l'importun qui me réveille de mon délire. Au café, toute personne qui entre, sur la moindre vraisemblance de silhouette, est de la sorte, dans un premier mouvement, reconnue.
Et, longtemps après que la relation amoureuse s'est apaisée, je garde l'habitude d'halluciner l'être que j'ai aimé : parfois, je m'angoisse encore d'un téléphone qui tarde, et, à chaque importun, je crois reconnaître la voix que j'aimais : je suis un mutilé qui continue d'avoir mal à sa jambe amputée.
Winicott

5. " Suis-je amoureux ? - Oui, puisque j'attends. " L'autre, lui, n'attend jamais. Parfois, je veux jouer à celui qui n'attend pas ; j'essaye de m'occuper ailleurs, d'arriver en retard : mais à ce jeu, je perds toujours : quoi que je fasse, je me retrouve désoeuvré, exact, voir en avance. L'identité fatale de l'amoureux n'est rien d'autre que : je suis celui qui attend.

WINICOTT, Jeu et Réalité, 21.

(Dans le transfert, on attend toujours - chez le médecin, le professeur, l'analyste. Bien plus : si j'attends à un guichet de banque, au départ d'un avion, j'établis aussitôt un lien agressif avec l'employé, l'hôtesse, dont l'indifférence dévoile et irrite ma sujétion ; en sorte qu'on peut dire que, partout où il y a attente, il y a transfert : je dépends d'une présence qui se partage et met du temps à se donner - comme s'il s'agissait de faire tomber mon désir, de lasser mon besoin. Faire attendre : prérogative constante de tout pouvoir, " passe-temps millénaire de l'humanité ".)
E.B.

6. Un mandarin était amoureux d'une courtisane. " Je serai à vous, dit-elle, lorsque vous aurez passé cent nuits à m'attendre assis sur un tabouret, dans mon jardin, sous ma fenêtre. " Mais, à la quatre-vingt-dix-neuvième nuit, le mandarin se leva, prit son tabouret sous son bras et s'en alla.


E.B. : lettre.
»
  • Extrait II : Inexprimable amour (p. 113)
«
ECRIRE. Leurres, débats et impasses auxquels donne lieu le désir d' " exprimer " le sentiment amoureux dans une " création " (notamment d'écriture).

1. Deux mythes puissants nous ont fait croire que l'amour pouvait, devait se sublimer en création esthétique : le mythe socratique (aimer sert à " engendrer une multitude de beaux et magnifiques discours " ) et le mythe romantique (je produirai une oeuvre immortelle en écrivant ma passion).
Cependant, Werther, qui autrefois dessinait abondamment et bien, ne peut faire le portrait de Charlotte (à peine peut-il crayonner sa silhouette qui est précisément ce qui, d'elle, l'a capturé). " J'ai perdu… la force sacrée, vivifiante, avec quoi je créais autour de moi des mondes. "
Banquet
Werther

2.                                           
                                       " La pleine lune d'automne,
                                       Tout le long de la nuit
                                       J'ai fait les cent pas autour de l'étang. "
Haïku

Pas d'indirect plus efficace, pour dire la tristesse, que ce " tout le long de la nuit ". Si j'essayais, moi aussi ?

BANQUET, 14 (et aussi 133).
WERTHER, 102.
HAÏKU : de Bashô

                                       " Ce matin d'été, beau temps sur le golfe,
                                       Je suis sorti
                                       Cueillir une glycine. "

ou :

                                        " Ce matin d'été, beau temps sur le golfe,
                                        Je suis resté longtemps à ma table,
                                        Sans rien faire. "

ou encore :

                                        " Ce matin, beau temps sur le golfe,
                                        Je suis resté immobile
                                         A penser à l'absent. "

D'un côté, c'est ne rien dire, de l'autre, c'et dire trop : impossible d'ajuster. Mes envies d'expression oscillent entre le haïku très mat, résumant une énorme situation, et un grand charroi de banalités. Je suis à la fois trop grand et trop faible pour l'écriture : je suis à côté d'elle, qui est toujours serrée, violente, indifférente au moi enfantin qui la sollicite. L'amour a certes partie liée avec mon langage (qui l'entretient), mais il ne peut se loger dans mon écriture.

3. Je ne puis m'écrire. Quel est ce moi qui s'écrirait ? Au fur et à mesure qu'il entrerait dans l'écriture, l'écriture le dégonflerait, le rendrait vain ; il se produirait une dégradation progressive, dans laquelle l'image de l'autre serait, elle aussi, peu à peu entraînée (écrire sur quelque chose, c'est le périmer), un dégoût dont la conclusion ne pourrait être que : à quoi bon ? Ce qui bloque l'écriture amoureuse, c'est l'illusion d'expressivité : écrivain, ou me pensant tel, je continue à me tromper sur les effets du langage : je ne sais pas que le mot " souffrance " n'exprime aucune souffrance et que, par conséquent, l'employer, non seulement c'est ne rien communiquer, mais encore très vite, c'est agacer (sans parler du ridicule). Il faudrait que quelqu'un m'apprenne qu'on ne peut écrire sans faire le deuil de sa " sincérité " (toujours le mythe d'Orphée : ne pas se retourner). Ce que l'écriture demande et que tout amoureux ne peut lui accorder sans déchirement, c'est de sacrifier un peu de son Imaginaire, et d'assurer ainsi à travers sa langue l'assomption d'un peu de réel. Tout ce que je pourrais produire, au mieux, c'est une écriture de l'Imaginaire ; et, pour cela, il me faudrait renoncer à l'Imaginaire de l'écriture - me laisser travailler par ma langue, subir les injustices (les injures) qu'elle ne manquera pas d'infliger à la double Image de l'amoureux et de son autre.
François Wahl

Le langage de l'Imaginaire ne serait rien d'autre que l'utopie du langage : langage tout à fait originel, paradisiaque, langage d'Adam, langage " naturel, exempt de déformation ou d'illusion, miroir limpide de nos sens, langage sensuel ( die sensualische Sprache ) " : " Dans le langage sensuel, tous les esprits conversent entre eux, ils n'ont besoin d'aucun autre langage, car c'est le langage de la nature. "
Jacob Boehme

4. Vouloir écrire l'amour, c'est affronter le gâchis du langage : cette région d'affolement où le langage est à la fois trop et trop peu excessif (par l'expansion illimitée du moi, par la submersion émotive) et pauvre (par les codes sur quoi l'amour le rabat et l'aplatit).

FRANCOIS WAHL : " Nul ne s'élève à "sa" lalangue sans y faire le sacrifice d'un peu de son imaginaire, et c'est en quoi, dans la langue quelque chose est assuré agir depuis le réel " ("Chute", 7).
JACOB BOEHME : cité par N. Brown, 95.

Devant la mort de son fils enfant, pour écrire (ne serait-ce que des lambeaux d'écriture), Mallarmé se soumet à la division parentale :

                                               Mère, pleure
                                               Moi, je pense
Boucourechliev

Mais la relation amoureuse a fait de moi un sujet atomique, indivis : je suis mon propre enfant, je suis à la fois père et mère (de moi, de l'autre) : comment diviserais-je le travail ?

5. Savoir qu'on n'écrit pas pour l'autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j'aime, savoir que l'écriture ne compense rien ne sublime rien qu'elle est précisément là où tu n'es pas - c'est le commencement de l'écriture.

BOUCOURECHLIEV, Thrène, sur un texte de Mallarmé (Tombeau pour Anatole, publiée par J.-P. Richard).
»
  • Extrait III : L'incertitude des signes (p. 253)
«
SIGNES. Soit qu'il veuille prouver son amour, soit qu'il s'efforce de déchiffrer si l'autre l'aime, le sujet amoureux n'a à sa disposition aucun système de signes sûrs.

1. Je cherche des signes, mais de quoi ? Quel est l'objet de ma lecture ? Est-ce : suis-je aimé (ne le suis-je plus, le suis-je encore) ? Est-ce mon avenir que j'essaye de lire, déchiffrant dans ce qui est inscrit l'annonce de ce qui va m'arriver, selon un procédé qui tiendrait à la fois de la paléographie et de la mantique ? N'est-ce pas plutôt, tout compte fait, que je reste suspendu à cette question, dont je demande au visage de l'autre, inlassablement, la réponse : qu'est-ce que je vaux ?
Balzac

2. La puissance de l'Imaginaire est immédiate : je ne cherche pas l'Image, elle me vient brusquement. C'est ensuite que je fais retour sur elle et me mets à faire alterner, interminablement, le bon et le mauvais signe : " Que veulent dire ces paroles si brèves : vous avez toute mon estime ? Peut-on rien voir de plus froid ? Est-ce un retour parfait à l'ancienne intimité ? Est-ce une manière polie de couper court à une explication désagréable ? " Comme l'Octave de Stendhal, je ne sais jamais ce qui est normal ; privé (je le sais) de toute raison, je veux m'en remettre, pour décider d'une interprétation, au sens commun ; mais le sens commun ne me fournit que des évidences contradictoires : " Qu'est-ce que tu veux, ce n'est tout de même pas normal de sortir en pleine nuit et de rentrer quatre heures après ! ", " C'est tout de même bien normal de faire un tour quand on a une insomnie ", etc. A celui qui veut la vérité, il n'est jamais répondu que par des images fortes et vives, mais qui deviennent ambiguës, flottantes, dès qu'il essaye de les transformer en signes : comme dans toute mantique, le consultant amoureux doit faire lui-même sa vérité.
Stendhal

BALZAC : " Elle était connaisseuse et savait que le caractère amoureux se signe en quelque sorte dans les riens. Une femme instruite peut lire son avenir dans un simple geste, comme Cuvier savait dire en voyant le fragment d'une patte : ceci appartient à un animal de telle dimension, etc. " (Les secrets de la princesse de Cadigan).
STENDHAL, Armance, 57.

3. Freud à sa fiancée : " La seule chose qui me fasse souffrir, c'est d'être dans l'impossibilité de te prouver mon amour. " Et Gide : " Tout dans son comportement semblait dire : puisqu'il ne m'aime plus, rien ne m'importe. Or, je l'aimais encore, et même je ne l'avais jamais tant aimée ; mais le lui prouver ne m'était plus possible. C'était bien là le plus affreux. "
Freud


Gide

Les signes ne sont pas des preuves, puisque n'importe qui peut en produite de faux ou d'ambigus. De là à se rabattre, paradoxalement, sur la toute-puissance du langage : puisque rien n'assure le langage, je tiendrai le langage pour la seule et dernière assurance :  je ne croirai plus à l'interprétation. De mon autre, je recevrai toute parole comme une signe de vérité ; et, lorsque je parlerai, je ne mettrai pas en doute qu'il reçoive pour vrai ce que je dirai. D'où l'importance des déclarations ;  je veux sans cesse arracher à l'autre la formule de son sentiment, et je lui dis sans cesse de mon côté que je l'aime : rien n'est laissé à la suggestion, à la divination : pour qu'une chose soit sue, il faut qu'elle soit dite , mais aussi, dès qu'elle est dite, très provisoirement, elle est vraie.

FREUD, Correspondance, 36.
GIDE, Journal, 1939, 11.
»



Parution en1973. Monique Witting est une romancière et théoricienne féministe majeure.


+ Pour en savoir plus :
lien avec La langue des oiseaux
Là c'est plus sur l'écriture, poétique, absolument jouissive, violente et particulière, où un désir lesbien et un corps féminin imprègnent les mots.

  • Extrait I : (p.22, p.36, p.50, p.144, p.160, p.174)
Le premier extrait que j'ai choisi traverse le texte, l'entrecoupe, c'est une énumération.

«
LE CORPS LESBIEN LA CYPRINE LA BAVE LA SALIVE LA MORVE LA SUEUR LES LARMES LE CERUMEN L'URINE LES FECES LES EXCREMENTS LE SANG LA LYMPHE LA GELATINE L'EAU LE CHYLE LE CHYME LES HUMEURS LES SECRETIONS LE PUS LES SANIES LES SUPPURATIONS LA BILLE LES SUCS LES ACIDES LES FLUIDES LES JUS LES COULEES L'ECUME LE SOUFFRE L'UREE LE LAIT L'ALBUMINE L'OXYGENE LES FLATULENCES LES POCHES LES PAROIS LES MEMBRANES LE PERITOINE, L'EPIPLOON, LA PLEVRE LE VAGIN LES VEINES LES ARTERES LES VAIS-

SEAUX LES NERFS LES PLEXUS LES GLANDES LES GANGLIONS LES LOBES LES MUQUEUSES LES TISSUS LES CALLOSITES LES OS LE CARTILAGE L'OSTEINE LES CARIES LES SUBSTANCES LA MOELLE LA GRAISSE LE PHOSPHORE LE MERCURE LE CALCIUM LES GLUCOSES  L'IODE LES ORGANES LE CERVEAU LE COEUR LE FOIE LES VISCERES LA VULVE LES MYCOSES LES FERMENTATIONS LES VILLOSITES, LA POURRITURE LES ONGLES LES DENTS LES POILS LES CHEVEUX LA PEAU LES PORES LES OCELLES LES PELLICULES LES DARTRES LES TACHES

LES AREOLES LES ECCHYMOSES LES PLAIES LES PLIS LES ECORCHURES LES RIDES LES AMPOULES LES GERCURES LES CLOQUES LE HALE LES GRAINS DE BEAUTE LES POINTS NOIRS LES FOLLICULES PILEUX LES VERRUES LES EXCROISSANCES LES PAPULES LE SEBUM LA PIGMENTATION L'EPIDERME LE DERME LES NERFS CUTANES LES INNERVATIONS LES PAPILLES LES RESEAUX NERVEUX LES RACINES LES FAISCEAUX LES BRANCHES LES PLEXUS LES NERFS MOTEURS LES SENSIBLES LES SENSORIAUX LES CERVICAUX LES PNEUMOGASTRIQUES

L'OESOPAGE LE CERVEAU LA CIRCULATION LA RESPIRATION LA NUTRITION L'ELIMINATION LA DEFECATION LA REPRODUCTION [XX + XX = XX] LES REACTIONS LE PLAISIR L'EMOTION LA VUE L'ODORAT LE GOUT LE TOUCHER L'OUIE LES CORDES VOCALES LES CRIS LES VAGISSEMENTS LES GEMISSEMENTS LES MURMURES LES RAUCITES LES SANGLOTS LES PLEURS LES HURLEMENTS LES VOCIFERATIONS LES PAROLES LES SILENCES LES CHUCHOTEMENTS LES MODULATIONS LES CHANTS LES STRIDENCES LES RIRES LES ECLATS DE VOIX LA LOCOMO-

TION LA MARCHE LA REPETITION LA COURSE LES SAUTS LES BONDS LES RECULADES LA GESTICULATION LES TREMBLEMENTS LES CONVULSIONS LE LANCER L'EMPOIGNADE LE CORPS A CORPS LA PREHENSION LES MARTELLEMENTS LES FRAPPEMENTS LES EMBRASSADES LE MOUVEMENT LA NATATION LES EPAULES LE COU LES JOUES LES AISSELLES LES SAIGNEES DES COUDES LES BRAS LES POIGNETS LES MAINS LES DOIGTS LES PAUMES LES POINGS LES POINTURES LES ATTACHES LES GENOUX LES CLAVICULES LES YEUX
[…]
LA BOUCHE LES LEVRES LES MACHOIRES LES OREILLES LES ARCADES SOURCILLIERES LES TEMPES LE NEZ LES POMMETTES LE MENTION LE FRONT LES PAUPIERES LE TIENT LE COU-DE-PIED LES CUISSES LES JARRETS LES MOLLETS LES HANCHES LA VULVE LE VENTRE LE DOS. LA POITRINE LES SEINS LES OMOPLATES LES FESSES LES COUDES LES JAMBES LES ORTEILS LES PIEDS LES TALONS LES REINS LA NUQUE LA GORGE LA TETE LES CHEVILLES LES AINES LA LANGUE L'OCCIPUT L'ECHINE LES FLANCS LE NOMBRIL LE PUBIS LE CORPS LESBIEN.
»
  • Extrait II : (p.3)
Le second extrait montre le travail sur la langue, en particulier la typographie des pronoms personnels et des possessifs de première personne, tous scindés par une barre oblique. Je vais essayer de retranscrire cela le mieux possible à l'oral.

«
Il n'y a pas de trace de toi. Ton visage ton corps ta silhouette sont perdus. Il y a un vide à la place de toi. Il y a dans m/on corps une pression au niveau du ventre au niveau du thorax. Il y a un poids dans m/a poitrine. Il y a des phénomènes à l'origine d'une douleur intense. A partir d'eux j/e te quiets mais j/e l'ignore. Par exemple, j/e marche le long d'une mer, j/ai mal dans tout m/on corps, m/a gorge ne m/e permet pas de parler, j/e vois la mer, j/e la regarde, j/e cherche, j/e m//interroge dans le silence dans le manque de trace, j//interroge une absence si étrange qu'elle m/e cause un trou au-dedans de m/on corps. Puis j/e sais de façon absolument infaillible que j/e te quiers, j/e te requiers, j/e te cherche, j/e te supplie, j/e te somme d'apparaître toi qui es sans visage sans mains sans seins sans ventre sans vulve sans membres sans pensées, toi au moment même où tu n'es pas autre chose qu'une pression une instance dans m/on corps. Tu es couchée sur la mer, tu m/e rentres par les yeux, tu viens dans l'air que j/e respire, j/e te requiers de te laisser voir, j/e te demande de te laisser toucher, j/e te sollicite de sortir de cette non-présence où tu t'abîmes. Tes yeux il se peut sont phosphorescents, tes lèvres sont pâles m/a très désirée, tu m/e tourmentes d'un lent amour.
»



Finalisé en 1675 publié en 1977, interdit l'année suivante, achevée peu avant la mort de Baruch Spinoza, philosophe néerlandais d'origine portugaise. 

L'éthique est une oeuvre majeur de la philosophie occidentale, dans le fond mais aussi par sa forme unique, empruntant au traité géométrique, par argumentation mathématique et aussi discursive (qui procède par raisonnements successifs). L'essai invite à dépasser l'état ordinaire de servitude vis-à-vis des affects pour s'émanciper et connaître le bonheur au moyen d'une connaissance véritable de Dieu, identifié à la nature, et de la causalité. Je mets de côté ce qui à trait à la religion pour me concentrer sur l'amour vu comme une joie liée à une cause extérieure.

+ Pour en savoir plus :

lien avec La langue des oiseaux
Il se trouve là aussi dans la forme très particulière de cet essai philosophique, qui y associe poésie et humour, et dans la déconstruction du sentiment amoureux, où il s'agit de se détacher des affects.

  • Extrait : Proposition 36 (p. 215)
«
Celui qui se souvient d'une chose qui lui a une fois donné du plaisir, désire la posséder dans les mêmes circonstances que la première fois.

DEMONSTRATION

Tout ce que l'homme a vu en même temps que la chose qui lui a procuré du plaisir sera (selon la proposition 15) cause de joie par accident (per accidents) ; et par conséquent (selon la proposition 28) il désirera posséder tout cela en même temps que la chose qui lui a procuré du plaisir ; autrement dit, il désirera posséder la chose exactement dans les même circonstances que la première fois.

C.Q.F.D.

COROLLAIRE

Si donc celui qui aime s'aperçoit que manque une de ces circonstances, il sera attristé.

DEMONSTRATION

Dans la mesure, en effet où il s'aperçoit que manque quelque circonstance, il imagine quelque chose qui exclut l'existence de la chose. Or, comme par amour il désire cette chose ou cette circonstance (selon la proposition précédente), il sera donc attristé (selon la proposition 19) en tant qu'il imagine qu'elle manque.

C.Q.F.D.

SCOLIE

Cette tristesse, en tant qu'elle se rapporte à l'absence de ce que nous aimons, s'appelle Regret.
»

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